PASSONS A
AUTRE CHOSE
Manifeste de DEYI STUDIO
PRESENTATION
Manifeste de DEYI STUDIO publié dans l'Art Press2 numéro 36 portant sur "Les expositions à l'ère de leur reproductibilité".
BAZAAR COMPATIBLE PROGRAM
Paul Devautour et Xia Yilan forment DEYI STUDIO depuis 2008 et travaille à Shanghai.
Paul Devautour à ouvert un petit espace d'expérimentation, le Baazar Compatible Program, ou de nombreux jeunes artistes y exposent.
Il faudrait en finir avec l'exposition.
Il faudrait commencer par dire aux jeunes gens que l'exposition a une histoire, et que cette histoire est terminée.
Il faudrait établir que l'exposition est née en 1874 et qu'elle est morte en 1989. Son apparition coïncide avec celle du marché de l'art, sa fin avec l'hégémonie du marché de l'art.
Il faudrait rappeler que, dans les écoles d'art, la pratique de l'exposition fut d'abord un outils critique, mais remarquer qu'aujourd'hui ne peuvent sortir des écoles que des parfaits professionnels de l'exposition.
Il faudrait reconnaître que l'exposition est morte en tant que laboratoire artistique et admettre qu'elle prolifère aujourd'hui en tant que banc d'essai scénographique pour des boutiques de luxe.
Il faudrait se demander pourquoi faire encore des expositions. Il faudrait démontrer que ne subsistent que deux motifs et qu'ils sont mauvais. Il faudrait décrire d'abord le motif économique puis le motif autoritaire et ne pas s'étonner qu'ils ne nous concernent plus.
Il faudrait s'aviser que personne n'a jamais réellement vécu de son art tant qu'il s'agissait d'art. L'économie de l'art dans le système de l'exposition est celle de tous les intermédiaires devenus inutiles.
Il faudrait avertir les artistes débutants, qui n'y croient déjà plus, que financer son activité en vendant quelque chose est un espoir idiot et un piège sans merci. L'exposition transforme toute oeuvre en marchandise et la plupart des marchandises en étalage dans les expositions ne sont jamais vendues. Dès lors, à quoi bon exposer ? Il faudrait regarder du côté des communaux collaboratifs et inventer un autre économie de la pratique artistique.
Il faudrait expliquer que, dans un monde de réseau, la légitimité se construit de pair à pair sans instance médiatrice et que les communautés interprétatives peuvent aisément s'emparer de l'autorité sans se laisser aveugler par les prescriptions et les impératifs des anciens monopoles de validation.
Il faudrait concéder qu'un troisième et dernier motif peut encore nous conduire à l'exposition. Il faudrait avouer que les vernissages sont encore bien commodes pour entretenir une relation non contraignante avec nos amis et que l'exposition reste difficile à remplacer quant à sa fonction phatique. Mais il faudrait quand même considérer qu'il serait enfin temps d'essayer d'inventer autre chose.
Il faudrait rappeler que dès 1992, dans le numéro 0 de la revue Document, le cercle Ramo Nash répondait à un questionnaire en donnant cette définition de l'exposition : "Plateau où sont visualisés les coups sous la table."
Il faudrait relire l'article de Maria Wutz, paru en 1955 dans le journal Omnibus, tirant les conséquences du développement alors récent du Web et pronostiquant la fin des expositions et le début des conversations.
Il faudrait redéfinir la pratique artistique en dehors des us et coutumes imposés par le format exclusif de l'exposition. Il faudrait revoir entièrement notre lexique et en bannir tous les termes compromis par l'usage qu'en font les professionnels de l'exposition.
Il faudrait cesser de dire que cela fonctionne, au moment précis où, bien accroché, cela ne fonctionne plus. Il faudrait imaginer d'autres modalités d'implémentation garantissant les conséquences plutôt que les effets.
Il faudrait avoir la sagesse de se contenter de l'estime d'un cercle proche et ne pas rêver bêtement d'une reconnaissance plus large au bénéfice exclusif des opérateurs du système intégré de l'institution et du marché.
Il faudrait se réjouir d'être ignorer de cette société qui sait très bien reconnaitre les siens.
Il ne faudrait pas craindre de mettre de coté les jeux de statut qui nous ont si bien occupés tous le temps des expositions. Il faudrait cesser de revendiquer la spécificité de nos projets et travailler au contraire à leur compatibilité, en veillant à des fonctionnements interopérables en dehors de l'exposition.
Il faudrait avoir la prudence de rester amateur et de n'engager dans la pratique artistique que les ressources personnelles ou collectives qui n'imposent pas d'en monnayer la plus-value.
Il faudrait revoir en quoi Adorno avait raison, exactement au moment ou on l'avait cru dépassé. Et il faudrait s'aviser que son mépris du jazz de variété n'était que la prémonition de notre fascination pour la pop culture la plus trash.
Il faudrait avoir la force d'abandonner sans regret les problématiques retournées, polluées et exploitées au seul profit de l'industrie culturelle. Mais il faudrait surtout avoir l'intelligence de ne rien brûler avant de se retirer, afin de laisser proliférer encore de quoi occuper sur place la machine.
Il faudrait regarder du coté de l'Orient et verifier que dans la tradition chinoise les peintures n'étaient jamais exposées mais seulement présentées. Elles étaient enroulées et rangées dans des boites et très rarement accrochées au mur. Elles étaient conservées dans la bibliothèque et non dans le séjour, du côté de l'étude plutôt que de la décoration. Il semble qu'elles n'étaient déroulées que pour être partagées avec les amis un moment particulier de la conversation. Et si elles pouvaient valoir très cher, c'était comme un trésor et non comme marchandise.
Il faudrait se souvenir que Marchel Duchamp a pris acte du caractère fétiche de la marchandise en choisissant un porte-bouteilles au BHV. Il faudrait réparer l'erreur de perspective qui ne retient de son geste que le second mouvement. Il faudrait souligner, qu'avant la déclaration performative, il y a l'opération heuristique qui interprète le grand magasin comme "déja" un lieu d'exposition, et réciproquement. Il faudrait prendre conscience que le ready-made est le moment de coïncidence historique de l'oeuvre d'art et de la marchandise par la magie de l'exposition. Il faudrait se donner la peine d'une chronologie synoptique de l'histoire de l'exposition et de l'histoire des grands magasins. Il faudrait s'amuser de la fausse actualités de l'ouverture de la fondation Vuitton alors qu'est passée inaperçue, il a quelques années, la décision de Bernard Arnault de fermer définitivement les magasins de la Samaritaine.
Il faudrait avoir la méchanceté dérisoire de qualifier de zombie tous ces artistes dont le cerveau a été dévoré par le docteur Zomboss de l'exposition et qui sont prêts à travailler gratuitement pour la maison Ricard ou à l'abri des palais sponsorisés de toute part.
Il faudrait comprendre que, si Areva, Hermes ou Sanofi organisent des expositions d'art contemporain, il n'y a plus rien à attendre de l'exposition comme média pour l'art.
Il faudrait paraphraser Pierre Desproges et convenir que l'on peut faire art de tout, mais pas avec n'importe qui.
Il faudrait garder à l'esprit le bel aphorisme de Pierre Sac : "Si Leonard de Vinci était né plus tôt, il aurait peint la Joconde dans les grottes de Lascaux."
Il est temps de passer à autre chose.